samedi 28 février 2009

Marc, Georges-Emmanuel et France

Je garde un souvenir ému de mon premier documentaire pour France Culture, car il était précisément consacré à Marc Bernard, sur lequel je travaillais depuis à peine plus d'une année ("Les vies de Marc Bernard - Surpris par la nuit, 2003). Je découvrais pour la première fois sa voix - lui qui l'a tant donnée à la radio - et j'avais l'impression de renouer avec les jeux de mon enfance où, muni d'un poste à double cassettes et d'un micro, je conjuguais des sons improbables.
Faire de la radio est pour moi un jeu, surtout au moment du montage. Et je n'oublie pas que c'est à Marc Bernard - cet autre joueur - que je dois cette rencontre, puis à quelques personnes - dont Laure Adler et Alain Veinstein - qui ont permis à la voix de Marc de refaire surface sur les ondes.
Marc Bernard a fréquenté ce media dès l'avant-guerre, à Radio 37. Lui doit sa découverte de la radio à Fernand Pouey, un drôle de type dont Roger Grenier (qui fut un autre partenaire de Marc à la radio) a parlé dans "Fidèle au poste". Vraiment, un drôle de type que ce Pouey, fantasque mais le nez creux. Marc le retrouvera dans l'excellente et éphémère feuille "Le clou", dont Pouey assurait la rédaction en chef. Marc, lui, y tenait la chronique théâtrale, bénévolement, comme Henri Calet, Roger Grenier, Clara Malraux ou Yvan Audouard... Le travail n'était pas une vocation pour Marc, et le bénévolat moins encore... Mais je digresse.
Très bientôt, si tout va bien, on retrouvera Marc sur les ondes de France Culture. Je vous en reparlerai.
En attendant, on se consolera - avantageusement je l'espère - en écoutant ou réécoutant (c'est une redif), mon documentaire sur Georges-Emmanuel Clancier, que France Culture rediffusera le 19 mars prochain, à 22h15 : "La poésie rassemblée", réalisé par Gaël Gillon. Ce, à l'occasion de la parution de "Vive fut l'aventure", le dernier recueil de Georges-Emmanuel Clancier (Gallimard). Hier soir au téléphone, j'ai dit à Georges-Emmanuel combien la lecture du titre de son recueil m'avait d'abord rendu triste (je pense souvent à lui). Mais je me suis aussi empressé de lui dire que sa voix, sa voix fine et si touchante, n'a, malgré ses 95 années, rien perdu de sa pureté et de son amour des lendemains.

mercredi 25 février 2009

Une chronique de Marc Bernard au Figaro

Sur les conseils - toujours avisés - d'Annie, qui trouve que ce blog est un peu trop "sérieux et triste" (merci Annie...), voici une chronique souriante de Marc Bernard, publiée dans Le Figaro du 17 août 1956 : Du rouge au noir. Marc Bernard alternait à la une du quotidien national aux côtés d'autres écrivains, surtout de l'Académie Française (Mauriac, Guéhenno, Gaxotte, Duhamel...). Je me suis toujours demandé ce qui pouvait bien pousser ce cher Pierre Brisson à relancer Marc - qui n'était pas très régulier dans ses envois. Le goût du choc culturel sans doute.

"Chaque année, un peu avant les vacances, mon ami Jacques Chardonne me demande : « Vous retournez au bord de la mer ? ». Timidement, avec une très mauvaise conscience, je réponds : « Oui ». A la façon dont André Gide disait : « Victor Hugo, hélas ! ». « Vous savez que c’est extrêmement dangereux » ajoute Chardonne. De plus en plus gêné, avec un sentiment de culpabilité qui me serre la gorge, je tente de répliquer : « Mais je sais nager ». Chardonne a une sorte de petit rire intérieur qui ne me laisse espérer rien de bon. « Mon pauvre ami, dit-il, c’est la mer qui est dangereuse en soi. De mon temps, nous y allions aussi, mais nous nous gardions bien de nous mettre dedans. Nous la contemplions du bord ».

En effet, je me souviens d’avoir vu au Grau-du-Roi, quand j’étais enfant, des messieurs coiffés d’un panama, qui, pantalons retroussés, entraient dans l’eau jusqu’au mollet ; ils faisaient ainsi une cinquantaine de mètres tout en bavardant, puis séchaient leurs pieds sur le sable et remettaient leurs chaussures pointues, à boutons. C’étaient ce qu’ils appelaient : l’heure du bain. Quelques dames en culotte bouffante et col marin étaient infiniment plus hardies ; il leur arrivait de se mouiller jusqu’aux épaules, en s’accroupissant ; ensuite elles gagnaient leur cabine en sautillant, tout en s’assurant que leurs admirateurs faisaient la haie ; ils n’y manquaient pas, boutonnière fleurie, canotier à la main, le front incliné, ne perdant rien cependant de ce qui paraissait confusément sous l’étoffe ruisselante. Quand les dames ressortaient de leur cabine elles avaient repris un aspect décent ; guimpe serrée autour du coup, jupe traînant dans le sable, portant un chapeau monumental, elles allaient sous l’une des tentes qui rappelaient celles du Camp du drap d’or, et là, assises sur un pliant, livre en main, elles lorgnaient du coin de l’œil les messieurs qui passaient, les mains derrière le dos, en discutant de l’affaire de Panama.

Quel changement ! Nous sommes passés du cinéma muet au cinémascope. Une tribu de nègres s’ébat aujourd’hui sur la plage. Ou plutôt les races sont mêlées : à côté du blanc de blanc arrivé la veille, se trouve le mulâtre qui a huit jours seulement de soleil ; honteux, il tente de passer inaperçu, s’allonge dès le matin sur la plage, mettant les rayons doubles ; il fait tache, se situe à peine au-dessus du blanc, rampe plus qu’il ne marche. On est gêné pour lui. Passons. Enfin, au sommet de l’échelle, le noir parfait, rayonnant, qui, des chevilles au front, n’a plus un stigmate clair.

Nous sommes tous en pagne ; c’est le triomphe du strip-tease. Une dame arrive en peignoir – parfois en short cela va plus vite - et en deux temps, trois mouvements, comme un ouvrier met son bleu, la voici telle, ou à peu près, que sa mère l’a faite. Son numéro passe dans l’indifférence générale ; il y en a trop.

Ce sont de drôles d’endroits que les plages, où l’on vous présente à une dame qui vous sourit dans son deux-pièces, tandis que vous vous inclinez dans un slip. C’est l’heure de vérité. Vous pourrez parler à cette dame de Proust ou de Kirkegaard, mais vous n’oublierez jamais tout à fait qu’elle a été vaccinée dans le haut de la cuisse droite. Cela retire un peu de sérieux, soit, en revanche cela rapproche singulièrement. On est du clan, de la tribu, entre soi. Le fait d’appartenir à la même plage donne des privilèges, car enfin, cette dame, vous ne la connaissiez pas avant qu’elle vous apparaisse soudain écumante, ruisselante, si semblable à Vénus que c’est parfois à s’y méprendre. Il arrive que ce soit une Vénus de poids, ou filiforme ; n’importe, l’impromptu de la découverte demeure.

Si une loi barbare nous condamnait à nous brûler, à nous peler, au sens propre du mot, des barricades de dunes surgiraient du sable ; pourtant nous restons là, bravement, sachant qu’il faut bien que quelques-uns se sacrifient pour perpétuer la tradition des bains de mer. C’est pourquoi, rouges d’abord, puis roux et enfin noirs, mais d’un noir à quoi on peut toujours rajouter à force de stoïcisme et de volonté, nous restons sur la plage incendiée, sans un poil d’ombre, alors qu’il existe à Paris et ailleurs de fraîches terrasses de café où des privilégiés boivent des demis sans faux col, bien frappés.».